Seconde partie : Roudira



I

VINDICATIFS

Le projet avait été longuement mûri et tous les détails avaient été si soigneusement élaborés qu'il ne devait plus rester, au moment où surviendrait l'« événement », qu'à le mettre à exécution.

Dès la fin de la réunion du Grand Conseil, où il avait été décidé par une mince majorité de ne pas désactiver le dôme sur-le-champ mais d'attendre au matin, plusieurs membres influents du clan des Vindicatifs avaient convergé vers le bureau de la vice-présidente :

La vice-présidente elle-même, Rakta Pouniatar, une grande femme sèche qui arborait comme des trophées les os qui saillaient de son collant rouge orné de motifs de plantes carnivores.

Tsim Sindar, son assistante dévouée.

Mirna Dipawal, l'ancienne assistante de Pouniatar, qui faisait partie des Vindicatifs mis aux arrêts après l'enquête ayant démontré son implication dans des tentatives de meurtre contre les messagers d'Agafa et d'Astilag. Elle avait été reléguée à un poste subalterne discret après avoir été apparemment « recadrée ».

Miria Oupakram, soigneuse avec spécialisation en pédopsychologie, elle aussi arrêtée et condamnée pour avoir tenté d'assassiner le petit Alimsani d'Agafa et, plus tard, d'avoir comploté pour se débarrasser de ce dernier et de la petite sourde d'Astilag. Elle avait également été « recadrée », puis rétrogradée à un poste administratif sans contact avec des patients.

Pourtant, ni Dipawal ni Oupakram ne semblaient être revenues à de meilleures dispositions à l'égard des Ilim des quatre contrées. Au contraire, lors des réunions secrètes tenues par les Vindicatifs, leurs propos contre les Ilim étaient encore plus virulents et leur soif de vengeance s'étendait même à certains Roudiriens qu'elles jugeaient « traîtres à leur race ». Le « recadrage », qui aurait consisté en principe à réorienter l'énergie des pulsions inadmissibles chez un citoyen de Roudira vers des motivations plus « humanistes », n'avait apparemment pas fonctionné. En fait, avec le concours d'informaticiens gagnés à la cause, Oupakram avait trafiqué le programme et l'avait rendu inopérant pour tous les Vindicatifs qui y avaient été soumis par décision du tribunal.

La cinquième personne présente chez la vice-présidente était Oukazeb Dessim, le chef de la Sécurité. On s'étonnait encore du fait que, malgré ses prises de position ouvertement hargneuses à l'égard des Ilim des quatre contrées, il n'ait pas été arrêté avec les autres Vindicatifs. En fait, l'enquête n'avait pu établir ni lien ni complicité avec les gestes posés par Miria Oupakram. Depuis le temps qu'il faisait partie de la Sécurité, se hissant progressivement jusqu'au sommet de la hiérarchie à force de tractations et de combines, Dessim avait appris à manœuvrer sa barque contre vents et marées. L'information étant la clé du pouvoir, il accumulait sur les personnes pouvant lui être un jour ou l'autre utile tous les renseignements possibles, même les plus anodins. Il aurait certes eu avantage à jouer profil bas pour ne pas trop éveiller les soupçons à son endroit, mais ses coups de gueule à propos des Ilim étaient pour lui un moyen d'affirmer une invulnérablité qu'il avait mis des années à acquérir.


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